je voudrais écrire

je voudrais écrire
les plus belles pages du monde
que le monde lirait
en pleurant un peu

mes pages seraient des tableaux
de tristesse et de beauté
le beau est toujours triste
quand il est intouchable

au bout de la tristesse
entre les lignes poindrait
une faible lueur d’espoir
ne pas mourir tout à fait

je parlerais de l’amour
trop fort débordant
en vagues sur les rochers
blanchis d’écume

des désirs non accomplis
du renoncement
rogneur d’âme qui tient
éloigné du but

je dirai la mer
et son horizon
et les oiseaux verts
là-bas qui s’en vont

je dirai l’envie
d’être un autre
que cet empêtré
dans la lourdeur des choses

dans mes pages je volerais
fièrement librement,
sur ma vie sans frontières
mon passé sans cadran

je parlerai des yeux
qui m’ont rendu fou
et du dernier regard
qui porta le noir infini

je parlerai du temps perdu
qui fuit lentement
comme un goutte à goutte
du sang des gens

des mots qui se croisent
sans s’entendre têtus
comme deux rivières
réticentes à confluer

du soleil aveuglant
qui ferme les yeux
cédant à la chaleur
de formes emmêlées

je parlerai du corps
qui s’abandonne en nudité
de sa peau fruit rouge
à croquer en délicatesse

dans la foison de mes pages
on verrait des tableaux
à contempler longuement
comme une source de vie

les mots sont si faibles
menteurs et réducteurs
la peinture est le parangon
de la création humaine

je voudrais que mes mots
se lisent comme un tableau
une musique symphonique
une matrice de liens

je voudrais écrire l’océan
des plus belles pages du monde
pour que le monde s’y noie
s’en nourrisse et renaisse